Pour mon Psy

Après s'être séparé à regrets de son amant, Marcus avait erré dans le jardin durant environ une heure. Jusqu'à ce que, frigorifié, il décide de rentrer. Songeant qu'Adrian n'aimait pas sa tenue, il repassa par sa chambre pour mettre un pantalon un peu plus seyant, mais garda son pull. Après tout, il avait gardé son t-shirt en-dessous. Ne sachant que faire du reste de sa journée, il dormit jusque midi et aurait pu dormir encore si son estomac ne s'était pas manifesté. Soupirant, mais songeant que cela ferait sans doute plaisir à son amant et que, conformémant à ses souhaits, cela lui ferait prendre du poids.

L'adolescent s'était donc rendu à la cafétaria et avait mangé un sandwich, quoiqu'à deux doigts d'être malade. Il fallait qu'il se force un peu, sinon ça n'irait jamais. Nauséeux, il partit en quête d'un endroit calme, qu'il trouva sous forme de l'atelier d'art. Directement, son regard tomba sur une pile de feuilles, avec des crayons, des pastels et des feutres. Ses doigts le démangeaient, il avait envie de dessiner. Et le psychiatre le lui avait demandé. Alors il avait dessiné ses deux parents, les yeux bandés. Devant eux, Ralf avec des fils au bout des doigts et un sourire cruel. Au bout des fils, lui, les yeux fermés et une expression vide sur le visage. Quelle heure était-il? Il s'en fichait. Il avait presque fini de colorier son dessin.

Adrian avait passé sa journée à écouter ses patients, revoir des dossiers ou encore discuter avec ses collègues. Il se sentait vidé de toute énergie. S'octroyant une petite pause, il alla à la cafétéria. Il remarqua immédiatement la jeune femme qui l'avait regardé ce matin même. Avant qu'elle n'ait pu l'apercevoir, il referma la porte et s'en retourna. Il prendrait un verre de lait dans son propre appartement. Pour le moment, il devait faire une dernière visite à une adolescente qui se trouvait à l'infirmerie. Ensuite, il pourrait passer dans son appartement et retourner auprès de Marcus.

[...]

- Marcus ! Marcus ?

Silence.

- Marcuuus ?

Toujours pas de réponse.

- Marcus si tu te caches, je vais te trouver en un rien de temps !

Adrian fouilla toute la chambre du jeune homme, sans résultat. Il se dit qu'il était peut-être dans une des salles de bain communes, ou à la cafétéria -ce qui était moins probable. Il demanda en passant à un jeune infirmier s'il ne l'avait pas vu, mais il ne put l'aider. Il continua ses recherches, de plus en plus inquiet, cherchant dans toutes les pièces communes et les couloirs. Il it même un tour à l'extérieur. Toujours rien. Son inquiétude augmenta d'un degré : qui sait ce qu'un jeune homme comme Marcus pouvait faire quand il était seul ?

Soudain, il aperçut le pull que portait Marcus ce matin. Il lui tournait le dos. Seul dans la salle à dessin, Adrian pouvait se permettre de surprendre à sa façon Marcus. Il s'avança donc à pas de loup, et lui cacha les yeux de ses mains.

- Devine qui c'est ?

Marcus, concentré sur le coloriage des yeux de son frère, n'avait pas eut envie de regarder l'heure, songeant qu'il avait encore beaucoup de temps devant lui. Et il ne s'était donc pas douté qu'Adrian le cherchait et était à deux doigts de paniquer. Aussi, quand deux mains se posèrent sur ses yeux, le jeune homme fit un bond sur sa chaise sans pouvoir réprimer une exclamation de surprise. Mais bien vite, une voix qu'il chérissait par-dessus tout s'adressa à lui, lui arrachant un soupir de soulagement.

-Hum... Mon Dieu personnel, je parie!
Fit l'adolescent, alors qu'il tendait les bras pour obliger le psychiatre à lâcher ses yeux. Se tournant vers lui, il jeta un oeil à travers la baie vitrée, par-dessus son épaule, et comme il n'y avait personne, se jeta sur lui pour l'embrasser à pleine bouche.

-Oh, tu m'as manqué! Diiit? Par contre, euh... Je peux te poser une question en tant que médecin? C'est... Normal que j'aie failli être malade quand j'ai mangé tout un sandwich?

Demanda Marcus, un peu gêné. Mais ça l'inquiétait tout de même...

Adrian se demanda en quoi il était un "Dieu personnel", mais oublia bien vite cette question, car Marcus enchaîna sur une tirade assez enjouée et un baiser à en perdre haleine. L'homme se dit que l'adolescent devait avoir envie de se faire pardonner de son comportement, et qu'il le faisait en tentant de l'amadouer par des attentions. Il n'avait pas besoin de tout cela, mais l'accepta tout de même sans un mot. Il lui paraissait étrange de se faire embrasser et encenser par le même garçon qui l'avait frappé le matin même. Il avait d'ailleurs examiné sa joue, et il avait vu naître le long de l'os de la pommette une tache oblongue qui hésitait entre le brun et le violet. Ce n'était pas vraiment douloureux, mais ses collègues ne manqueraient pas de lui faire remarquer. Il donna une réponse rapide, mais concise au jeune homme sur son état de santé :

- Tu n'as pas mangé autant depuis longtemps, ton estomac s'est rapetissé. Tu lui en as trop donné d'un coup, il ne peut tout contenir, il le rejette. Tout simplement. Mais ne t'inquiètes pas, ça va s'améliorer !

Après cette effusion de bonheur humeur venant du jeune, Adrian se pencha sur ce qu'il l'occupait avant qu'il n'arrive. Le dessin en question était plus qu'explicite, ce qui l'étonna grandement. Ainsi, Marcus avait totalement conscience de l'emprise de son frère sur lui ? Adrian ne l'aurait pas cru s'il n'avait pas vu la représentation imagée, mais claire du marionnettiste qui garde le contrôle sur son pantin. Ils auraient tout le loisir d'en discuter pendant une séance. Il lui demanda donc en tenant la feuille de papier :

- Je peux te prendre ça ? On en parlera prochainement, mais pas ce soir... A moins que tu veuilles en parler immédiatement ?

Adrian plia la feuille et la glissa dans une des poches de son blouson. Il lui caressa les cheveux, ses yeux le fixant sans ciller. Il ne savait que pensait des événements de ce matin, mais ne voulait plus en parler ; du moins, pas tout de suite. C'était comme pour le dessin, il se rendait peu à peu compte qu'il ne porait plus prendre la distance nécessaire pour étudier le cas de Marcus comme un cas purement médical. Il prendrait toujours part au diagnostic, il serait toujours trop impliqué...

Dans un geste un peu brusque, il attira le jeune homme à lui, et lui plaqua la tête contre son torse. Il le retenait d'une main sur la nuque, l'autre pressait son dos. Il ne bougeait plus. Il tenta de ne plus penser à rien d'autre qu'à ce contact avec l'être qu'il aimait. Il ne pensait plus ni à son travail, ni au fait qu'il enfreignait toutes les règles, ni à l'évolution d'une telle relation... Il était totalement immobile, si ce n'est sa respiration. Il resta ainsi de très longues minutes, espérant que Marcus ne parlerait pas, ne le sortirait pas de cette sorte de torpeur qui le paralysait. Sa tête le faisait à nouveau souffrir.

-Non, ça va, on en parlera plus tard...

Répondit Marcus, un peu gêné qu'Adrian aie vu si vite le dessin. Il aurait aimé l'embrasser encore un peu, il avait tant à se faire pardonner! Rien qu'à voir la joue colorée, il avait envie de se faire pardonner de toutes les façons possibles et imaginables. Sursautant quand l'adulte l'attira brutalement contre lui, il resta quelques instants un peu crispé, avant de glisser ses bras autour de lui. Soit, s'il le voulait contre lui, alors il resterait comme ça. Les yeux fermés, il poussa un petit soupir de contentement et se pelotonna contre lui. Pendant de longues minutes, il ne dit rien, jusqu'à ce qu'il sente ses jambes s'engourdir. Alors, il s'éloigna un peu pour l'embrasser du bout des lèvres, faisant glisser ses doigts autour du bleu.

-Je... Il y a un espoir que...

Haussant un sourcil, l'adolescent remarqua que son amant n'avait pas l'air très bien. Une moue inquiète sur le visage, il ne prit pas la peine de terminer sa phrase, demandant dans un murmure s'il allait bien. Tant pis pour sa question, il lui demanderait plus tard s'il accepterait qu'il dorme avec lui. Au fond, il n'aurait même pas dû essayer de lui demander. Avec le coup de ce matin, ce serait forcément non.

Quand Adrian ouvrit à nouveau les paupières, il vit des taches lumineuses danser devant ses yeux. Ce léger étourdissement lui fit se sentir mal un instant, mais il réussit à se reprendre et à regarder Marcus qui lui parlait. Il ne saisit pas ses paroles, d'autant plus que le jeune homme s'arrêta en plein milieu de la phrase pour le questionner sur son état de santé.

- Je... Je dois prendre des triptans... Immédiatement.

Il ne pensa pas à lui fournir plus d'informations à ce sujet, et sortait déjà de la pièce. Il ne se retourna pas, fonçant directement vers son appartement. Plus vite, il avalerait ces pilules, plus vite, il serait soulagé. Il marcha donc sans arrêter jusqu'à chez lui, et avala les comprimés avec un verre d'eau. Penché sur l'évier, il se retint de vomir de justesse. Les douleurs se faisaient de plus en plus persistantes, et il n'avait plus exactement conscience de son environnement. La moindre source de lumière lui était insupportable, idem pour le bruit. Il aurait voulu disparaître, ne plus sentir cette insidieuse souffrance.

Marcus, lui, n'avait pas bougé. De toute évidence, Adrian devait vraiment être mal, pour ne rien lui avoir dit d'autre que cette phrase qui semblait compter plus pour lui. Ou alors, il était fâché, au choix. Mais dans un cas comme dans l'autre, il préférait ne pas lui imposer sa présence. Aussi, il se rassit une dizaine de minutes, voulant continuer de dessiner. Mais plus rien ne lui venait à l'esprit. Alors il remit tout en place et quitta la salle pour rejoindre sa chambre. Il dormirait donc seul, cette nuit. Et demain matin, il essayerait de croiser le psychiatre pour savoir s'il allait mieux et lui demander s'ils se verraient encore en tant que patient et médecin.

Sauf que quand il se retrouva a l'intersection de deux couloirs, l'adolescent se mit à hésiter. L'un menait aux chambres des patients et l'autre à celles du personnel. Donc à celle de son amant. Il avait envie d'aller le voir, d'autant qu'il se souvenait du code, mais comment l'homme le prendrait-il? Mal, sans doute... Pourtant, il n'arrivait pas à faire un pas de plus.

Peu à peu, la douleur se fit plus sourde et plus profonde. Elle pulsait à un rythme régulier dans ses tempes, mais aussi dans tout son corps. Il tourna la tête -ce qui lui donna l'impression d'être sur un bateau et lui donna à nouveau envie de vomir- et s'aperçut que la porte était restée entrouverte. Marcus. Il devait l'attendre dans la salle de dessin. Pourtant, Adrian ne pouvait se résoudre à faire de nouveau le trajet en sens inverse, d'autant plus que les couloirs étaient éclairés au néon. Il marcha jusqu'à la porte, les mains devant lui comme un aveugle pour ne pas risquer de tomber. Il ouvrit complètement la porte et s'adossa au chambranle, reprenant son souffle comme s'il venait de courir un marathon. La nausée revint, plus forte cette fois-ci. Il attendit encore quelques instants, respirant profondément par le nez, puis par la bouche. Il appela de la voix la plus forte qu'il put :

- MArrCUs !

Pas un bruit ne lui répondit. Il appela à nouveau. Des pas précipités se firent entendra. Il eut à peine le temps d'apercevoir le jeune homme au coin du couloir qu'il s'évanouissait. Son corps n'était plus qu'une lourde chose qui ployait vers le sol, et qui le rejoignait. Il ne sentait plus son corps. Et son esprit se déconnecta.

A contre-coeur, Marcus avait tout de même fini par se décider. Il avait prit le couloir menant aux chambres des patients. Et il avait la main sur la poignée de la sienne, quand un cri attira son attention. Avait-il rêvé, ou bien étais-ce vraiment la voix d'Adrian qui venait de l'appeler? Intrigué, quoique persuadé que son esprit lui jouait un mauvais tour, il fit quelques pas dans le couloir. C'est alors que le cri se répéta et, cette fois-ci, il réalisa que le psychiatre l'appelait vraiment. C'est donc en courant qu'il déboula dans l'autre couloir, apercevant son amant tomber au sol.

Se précipitant à ses côtés, il s'agenouilla, se mordant les lèvres en constatant qu'il était inconscient. Que faire?! Il devait aller chercher de l'aide, mais il ne pouvait pas non plus le laisser dans le couloir! Passant ses bras autour du corps inanimé, il tenta de le soulever, sans succès. Et en plus, il s'était fait affreusement mal au dos. Alors, se remettant a genoux, il plaça son pull sous la tête d'Adrian, se moquant du fait qu'il avait froid. Secouant son épaule, l'appelant, il pria pour qu'il se réveille rapidement. Si d'ici environ cinq minutes il était toujours inconscient, il irait chercher de l'aide.

Adrian se sentait comme dans un brouillard, il n'avait pas conscience de la présence de Marcus à ses côtés, ni d'aucune autre chose autour de lui. Il ne sentait que la douleur et ce brouillard épais, lourd, désagréable. Soudain, il en eut assez, il voulut sortir de cet étau de souffrance. Il secoua la tête le plus fort possible. En réalité, elle ne bougea que de quelques centimètres, mais cela suffit. La douleur provoquée par ce mouvement reconnecta les neurones avec la réalité.

- Nnnh...

De sa bouche sortit un son quasi-inaudible et incompréhensible, il ne pouvait ni parler, ni réfléchir. Il revenait pourtant à l'état de conscience peu à peu, il bougeait les doigts et les bras lentement. Quelques instants plus tard, il appela :

- Ma... Marcus... Marcus ?

Non, cinq minutes, c'est trop long! Songea Marcus, qui commençait à sérieusement paniquer. Il était d'ailleurs entrain de se relever quand il vit Adrian bouger la tête. Se laissant retomber au sol, ignorant la douleur de ses genoux, il ne put retenir un léger soupir de soulagement. Posant doucement deux doigts sur les lèvres du psychiatre, il se mit à lui caresser les cheveux.

-Shhht... Je suis là, Adrian...

Fit l'adolescent, tout en songeant qu'une fois son amant debout, il devrait s'en aller. Mais il n'en avait aucune envie! Il voulait rester près de lui. Même si c'était pour se faire disputer, il s'en fichait. Il n'avait juste pas envie de le quitter, c'était aussi simple que ça.

-Je sais faire quelque chose?

Demanda Marcus, quand Adrian sembla reprendre un peu plus ses esprits.

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