Balade ou ballade ?

Adrian débarrassa le plateau, la tête ailleurs. Il remarqua tout de même du coin d'œil la jeune femme qui avait rendu Marcus jaloux. Il ne fit pas mine de l'avoir vu, ne voulant pas lui donner de fausses raisons de penser qu'elle lui plaisait. Il récupéra ses affaires, puis prit le chemin de la sortie. Il s'arrêta un instant au distributeur d'eau, but dans un verre jetable et enfila son blouson. Il utilisa la porte de sortie n°3 comme ils en avaient convenu avec Marcus quelques instants auparavant. Adossé au mur, il attendait, le regard et l'esprit perdu dans un monde lointain que lui seul connaissait. Il revivait cette nuit et ce matin si étrange. Forts en sentiments et sensations. Il sentait qu'il perdait un peu la tête quand il était proche de Marcus, il n'était plus lui-même. Est-ce positif ? Est-ce lui qui allait le délivrer des peurs qu'il n'osait s'avouer depuis un moment déjà ? Il n'eut pas le temps d'appronfondir ses pérégrinations, Marcus revenait.

Le jeune homme avait opté pour une tenue plus décontractée, quoi qu'on put dire de ce nouvel accoutrement qu'il était plus démodé que décontracté. Le jean large et le pull avachi donnaient une drôle d'allure à Marcus. Adrian fut presque choqué de ce changement si soudain ; il n'y a pas dix minutes, l'adolescent était vêtu d'une tenue bien plus recherchée... Adrian restait muet, il ne savait que dire, ni que penser de tout cela. Pour se donner le temps de réfléchir, il commença la balade, et naturellement, ses pas les menèrent au point d'eau non loin de là. L'étang renvoyait des traits de lumière vers les marcheurs, ce qui gênait un peu le psychiatre. Ils arrivèrent afin au bosquet. Ainsi cachaient par les arbres, ils pouvaient se livrer à toutes sortes de comportements sans craindre d'être dérangés. Adrian se détourna de sa contemplation de l'étang et dit à Marcus :

- Pourquoi t'es-tu changé ? Tu as peur que je te vois...

Il disait cela avec une certaine appréhension (peur de la réaction de Marcus) et à la fois avec un peu de défi (espérant qu'il comprendrait l'allusion).

Marcus avait rejoint Adrian sans un mot, notant que le psychiatre avait remarqué son changement de tenue. Ben tiens! Quand il faisait mieux, il ne s'en rendait pas compte mais s'il commençait à mettre des vêtements moins seyants, dessuite, ça n'allait plus! Comme par hasard, Adrian les mena à un bosquet, tout près de l'étang. Au fond, ça n'était pas plus mal, ils pourraient se parler normalement.

-Non, mais je me suis dit que si je m'habillais comme ça, la prochaine fois que je ferais un effort, tu le remarquerais. Et puis, tu disais bien que tu voulais me voir avec du poids en plus? Ben ça donne le même effet.

L'adolescent, lui, n'avait pas quitté l'étang des yeux, observant les poissons qui remontaient à la surface. Oui, il était de mauvaise humeur. Il ne savait plus dire comment, comme il ne savait plus dire pourquoi il en voulait à Adrian. Mais il lui en voulait. A croire que sa remarque sur son poids, son manque de réaction face à sa tenue et le fait qu'il se laisse draguer, ça faisait trop dans une seule matinée.

Adrian écarquilla les yeux, Marcus semblait sur les nerfs. Sa voix tremblait presque, et son regard était tourné vers l'étang, évitant ainsi celui d'Adrian. Beaucoup moins stressé que l'ado, il s'adossa contre un arbre. La surprise passée, il se mit à sourire, à sourire face au trouble de Marcus.

- Là, c'est sûr que ça me fait de l'effet ! Je ne pourrais pas l'exprimer par des mots... Ça donne un effet des plus réussis !

Par ses paroles, Adrian voulait asticoter, retrouvant ainsi une de ses attitudes favorites de quand il était enfant : taquiner les autres. Il faisait pourtant tout cela avec tendresse, sans méchanceté aucune. Il voulait faire comprendre ce qu'il ressentait à Marcus et il montrait à quel point ce qu'il faisait était idiot. Marcus connaissait ses sentiments, et ne devait pas douter de ceux-ci. Malgré tout, il y avait ce petit quelque chose en lui qui devait lui dire "tu crois que tu plais à cet homme ? tu crois sincèrement qu'il t'aime ? il s'amuse avec toi, rien de plus !". Ce sentiment d'infériorité avait la dent dure, et ce changement de vêtements en était la preuve.

Adrian resta immobile contre son arbre, regarda négligemment le jeune homme lui tourner le dos.

Biensûr qu'il y avait ce petit quelque chose! Et c'est d'ailleurs à cause de ce petit quelque chose que Marcus eut tellement mal pour des paroles que beaucoup auraient prises à la rigolade. Serrant un instant les dents pour empêcher ses yeux de s'humidifier, il transforma sa douleur en colère. Sur le moment, c'était bien, ça l'empêchait de fondre en larmes. Mais par après, les effets étaient parfois dévastateurs.

-Eh bien tant mieux : au moins, je serais sûr de ne pas être le patient numéro trois-cent quatre-vingts et le plan cul numéro deux-cent dix-huit!

Répliqua l'adolescent, alors que ses mains le démangeaient. Pas qu'il aie envie de les mordre, non. Il avait plus envie d'en retourner une à Adrian qui se foutait royalement de sa gueule.

Cette fois-ci ses yeux firent plus que légèrement s'écarquiller, Adrian sentit même sa gorge se nouer. Il était allé trop loin. Il aurait cru que Marcus comprendrait la blague, et était loin de se douter d'une telle réplique. L'ado ne l'avait pas giflé, mais c'était tout comme. A présent, Adrian se sentait vraiment mal, il n'osait même pas répondre. Plusieurs secondes s'égrainèrent dans le silence. Il ouvrit la bouche, puis la referma. Son esprit semblait vide, il ne pouvait plus réfléchir à une réponse correcte. Les mots lui venaient en bloc sans qu'il sache ce qu'ils voulaient dire. Il était perdu. Les paroles de Marcus avaient atteint leur but : blesser Adrian comme lui-même avait été blessé. L'homme avala avec difficultés sa salive et entreprit de calmer Marcus :

- N...Non ! Marcus, non ! Ne dis pas ça ! T'as pas le droit ! Tu sais que c'est idiot, tu sais que c'est faux ! Dis pas ça !

Sa voix était rauque et forte, mais lui se sentait faible et idiot. Sans réfléchir plus longtemps, il s'avança vers lui, voulant le prendre dans ses bras.

Marcus n'avait jamais levé la main sur qui que ce soit, hormis une fois pour mettre une claque à son frère pour se défendre. Il n'avait jamais été violent et n'en avait jamais eut envie. Mais là, le coup était parti tout seul.
Depuis le matin, depuis qu'il s'était fait dépuceler, Adrian ne lui trouvait que des défauts. Pire encore : il l'avait blessé et ne s'en était pas rendu compte. Et il avait commencé à se moquer de lui. Alors, quand l'adulte avait voulu le prendre dans ses bras, l'adolescent avait vu rouge. Pour la première fois de sa vie, il avait levé le poing et avait frappé le premier. Le coup s'était abattu sur la joue du psychiatre qui, par chance, avait en face de lui un anorexique qui n'avait pas l'habitude de frapper. Il n'aurait pas d'oeil au beurre noir comme ça arrivait parfois. Tout juste un bleu sur la joue, s'il avait la peau sensible.

A peine le coup arrivé à destination, Marcus s'était levé pour partir d'un pas vif vers le centre. C'était fini. Il en avait assez qu'il se joue de lui! Qu'il lui fasse mal sans le vouloir, il pouvait le comprendre. Mais qu'il ne s'en aperçoive pas et, par dessus tout se moque de lui, c'en était trop.

Le coup qu'il reçut eut le don de le faire sortir de son hébétement. Cette sorte de paralysie qui l'avait pris aux dernières paroles du jeune homme disparut aussitôt le coup donné. Il pouvait bouger, mais ne savait pas comment réagir. Marcus s'éloignait déjà à grandes enjambées. Il le rattrapa rapidement par un bras ; Adrian était bien plus athlétique que Marcus. Il dut pourtant tiré fort sur ce bras pour arrêter totalement la course. Il le tint par les poignets, lui faisant ainsi face et l'empêchant de partir.

- Qu'est-ce qui t'prend ?

Adrian savait bien ce qui lui prenait. Marcus n'arrivait plus à s'exprimer par des mots, il le faisait par le dernier moyen qui soit pour l'homme : se battre. Le coup n'avait pas été fort, mais à l'endroit aux le poing avait touché la joue, la pommette rougissait. L'adrénaline que lui avait envoyé son cerveau ne lui permettait pas de ressentir la moindre douleur, mais Adrian savait bien que le coup porté aurait des conséquences. Il empoignait toujours Marcus, et reprenant un instant son souffle, il ajouta :

- Pourquoi est-ce que tu m'as frappé ? Je t'ai juste taquiner sur ta tenue, rien de bien méchant.

Se retrouvant tenu par les poignets, Marcus avait tenté de se dégager, traitant Adrian de tout les noms pendant qu'il tentait de faire contre-poids pour que ses poignets glissent des mains de l'homme. Evidemment, c'était peine perdue!

-Tu te le demandes encore?!

Fit l'adolescent, alors que les larmes montaient à nouveau. Sauf que cette fois-ci, il n'avait rien pour les transformer en colère. Cette fois-ci, il devrait affronter ses pleurs.

-Depuis ce matin, tu n'arrêtes pas de me faire des remarques! Tout d'un coup, je suis devenu trop maigre pour toi! J'ai jamais porté de slim ni de t-shirt aussi serrant, et tu n'as même pas remarqué! Tu t'es laissé draguer sans rien dire par la pétasse blonde! Puisque tu me voulais avec des kilos en plus, j'ai mit des affaires qui en donneraient l'illusion, et tu as encore commencé à te moquer de moi!! Depuis ce matin, j'ai l'impression d'être le dernier des déchets a tes yeux!! Depuis que je suis sorti, je ne suis plus assez bien pour toi!! Et tu oses me demander pourquoi je t'ai frappé??!! Je te déteste, Adrian!! JE TE DETESTE!!!

S'il avait commencé à pleurer tout au long de ses paroles, Marcus s'était mit à sangloter dès qu'il s'était tu. Tombant à genoux dans le gazon, il cessa d'essayer de se dégager, privé de toutes ses forces tant il pleurait.

-Je pensais que je te plaisais vraiment... Je pensais que tu m'aimais comme j'étais...!!

Gémit l'adolescent, sans cesser de sangloter. C'était trop dur, ça faisait trop mal, il voulait mourir. D'ailleurs, si Adrian le laissait maintenant, il n'hésiterait pas à aller se jeter dans l'étang. Parce qu'il savait très bien qu'il se noierait sans difficultés. Il aurait juste à courir en fermant les yeux, jusqu'à ce qu'il tombe dans l'eau. Pour le reste, Ralf l'aiderait... Il avait envie de hurler tant il avait l'impression que son coeur était entrain de se déchirer.

Le visage décomposé de son amant fit à Adrian une sorte d'électrochoc. De plus, il en était responsable, le seul responsable. Marcus s'était changé et avait agi ainsi uniquement pour lui plaire, pour être aimer. Il ne prenait pas en compte les insultes qui fusaient, il connaissait des réactions bien plus fortes que celles-ci. Ce n'était que des mots, Marcus ne les pensait pas réellement. Ce qu'il entendit par contre le fit prendre conscience une fois de plus de la fragilité du jeune homme, il devait prendre soin de lui s'il voulait que leur histoire continue. Il relâcha donc son étreinte, et se baissa à son niveau, un genou à terre.

- Marcus. Marcus, calme-toi. Du calme. Chhh...

Sa voix était forte, mais se voulait rassurante. Il posa la tête de Marcus contre son propre torse, lui caressant les cheveux un long moment. Les soubresauts qui le secouaient étaient fort, mais se calmèrent peu à peu. Les sanglots diminuèrent, et Adrian reprit la parole :

- Marcus. Je... J... Je ne voulais pas te blesser, je te le promets. Je te jure que c'était... Enfin que c'était pour te taquiner. Rien d'autre. Je croyais que tu comprendrais, que tu ne réagirais pas comme ça... Je ne sais pas quoi te dire. Seulement... Je t'aime. Je t'aime Marcus, n'en doute pas s'il te plaît. Je t'aime vraiment ! Je t'aime, je t'aime, je t'aime...

Adrian lui chuchotait ses mots indéfiniment, et le berçait en le gardant collé à lui. de longues minutes s'écoulèrent, mais ni l'un ni l'autre ne semblaient avoir conscience du temps qui passait, et de la possibilité d'être aperçu dans cette position incongrue.

Marcus s'était laissé attirer contre Adrian, fermant les yeux et profitant de sa chaleur. Il avait toujours su qu'il n'était pas comme les autres, à cause de ses phobies. Mais maintenant que l'homme avait essayé de gentiment l'ennuyer, il commençait à comprendre qu'il y avait autre chose qui clochait chez lui. Quelque chose de bien plus handicapant pour le couple précaire qu'il formait avec le psychiatre. Petit à petit, ses pleurs se calmaient et s'étaient fait silencieux, alors qu'il essayait de prendre la parole.

-Aide-moi... Je ne sais pas de quoi, mais... Je veux guérir... Pour toi... Pour nous...

Supplia l'adolescent, alors qu'il se redressait péniblement pour regarder son amant dans les yeux. Puis, passant ses bras autour de son cou, il commença à l'embrasser à pleine bouche, se pressant contre lui. Pas qu'il avait envie de sexe, mais il ne savait plus comment lui faire comprendre à quel point il l'aimait.

Adrian fut assez surpris de ce revirement de situation si soudain, mais il savait bien à quel point Marcus était troublé, et se laissa faire. Il le câlina encore quelques instants, et se décida enfin à bouger. Ses jambes étaient légèrement engourdies à cause de la position accroupie, et le sang commencé à refluer dans ses veines peu à peu. La douleur sur la pommette se fit sentir, bien plus fort qu'il ne l'aurait cru. Il essuya les joues du jeune homme doucement, et le regarda dans les yeux comme pour l'apaiser. Il le prit par la main, et fit quelques pas. Il ne savait pas où aller, mais ne voulait pas rester immobile. Ils continuèrent ainsi la balade, main dans la main, en silence. Le cerveau du psychiatre marchait à plein régime, il réfléchissait à une solution, une façon de traiter cette maladie (car s'en était bien une).

A présent, la tête d'Adrian bourdonnait à cause de l'excès d'adrénaline. Il sentait la migraine venir, sans aucun doute, ce soir, il serait cloué au lit par des douleurs intenses. Il essayait tout de même de rester lucide, mais son esprit s'embrumait de plus en plus. De plus, les rayons lumineux n'arrangeaient rien, le soleil était à son zénith. Il était temps de rentrer. Adrian avait des consultations à faire, et des dossiers à compléter. Il ne pouvait pas se permettre de flâner toute la journée. Il chercha un moyen d'expliquer cela à Marcus sans lui faire croire qu'il voulait se débarasser de lui (ce qui n'était pas le cas).

- Marcus, je dois aller remplir mes fonctions. J'ai beaucoup de travail. Ne m'en veux pas s'il te plaît ! Je viendrais te retrouver dans ta chambre en fin d'après-midi et nous pourrons passer la soirée ensemble. Enfin si tu veux...

Ils s'étaient arrêté à un angle du bâtiment. Les yeux encore humides du jeune homme attendrir Adrian. Il le plaqua gentiment contre le mur, l'embrassant longuement. Il s'arrêtait quelques secondes, lui disant qu'il l'aimait énormément, qu'il ne voulait pas le perdre, puis reprenait ses baisers. Il caressait ses cheveux, son visage, ses lèvres. Il l'embrassait comme jamais il n'avait embrasser une fille. Il aurait voulu lui faire comprendre à quel point il l'aimait juste par un baiser, ou un regard. Pourtant il ne pensait pas avoir réussi cela. Ils restèrent ainsi enlacés plusieurs minutes, s'embrassant tellement qu'ils en perdaient le souffle.

Quand Adrian lui avait dit qu'il devait aller travailler, une petite voix avait soufflé à Marcus que c'était un prétexte pour se débarrasser de lui. Mais il ne l'écouta pas. Et quand bien même ce serait le cas, il comprenait très bien qu'après le coup de poing qu'il lui avait donné il préfère reste seul pour le reste de la journée.

-Biensûr, que je veux...

Répondit l'adolescent, attristé que son amour croie qu'il n'avait plus envie de passer du temps avec lui. Se laissant plaquer contre le mur, il ferma les yeux pour profiter des tendres attentions qui lui étaient accordées. Cependant, il finit par le repousser gentiment, caressant la joue qu'il avait épargnée.

-Si tu as du travail, il faudrait peut-être que tu y ailles? Je n'ai pas envie que tu te fasse enguirlander à cause de moi... A ce soir, alors?

Marcus avait du mal à se faire à l'idée qu'il devrait rester loin d'Adrian toute la journée, mais il le fallait.

- Enguirlandé ? Non, il n'y a pas de risque !

En effet, Adrian était le seul psychiatre du centre. Il y avait deux psychologues et un médecin généraliste, mais le directeur ne pouvait pas se permettre de le virer ; en tout cas, tant qu'il ne savait pas qu'il fricotait avec un patient. Il se devait donc de mettre le plus de distance entre eux pour le moment. De plus, embrasser un patient en pleine journée pouvait être aisément surpris, puis colporté par n'importe qui.

- A ce soir... Je pense pouvoir me libérer vers six heures au plus tard. De toute manière, ne t'inquiètes pas je te retrouverais dans ta chambre.

Il avait envie de ce jeune homme toujours adossé au mur, mais se contenta d'un baiser. Puis il s'éloigna à grand pas, sans se retourner. Il aurait été trop tenté de revenir sur ses pas, mais il avait des obligations et trop à faire pour rester avec lui.